xxx Avec quelle gourmandise nos chroniqueurs sont à l’affût du moindre cas de décès chez les personnes atteintes du virus grippal dit pandémique. Adjectif, au passage , qui avec juste un petit dé ludique en moins, devient rapidement panique. Le dieu Pan répandant la terreur dans les villages où il apparaît, comme chacun sait.
xxxxIl existe une confusion assez courante entre les liens qui relient deux réalités. Par exemple, une étude peut montrer qu’il existe dans un groupe de personnes présentant une hypertension artérielle une proportion plus importante que dans la population générale de gens aux yeux bleus. La tentation intellectuelle est grande de vouloir en tirer une relation de cause à effet. Et de juger que de naître avec les iris clairs constitue un risque de maladie cardio-vasculaire. C’est une stupidité qui saute aux yeux, si je peux dire.
La question n’est pas purement théorique avec notre virus A H1 N1 du jour. Des malades grippés décèdent ici ou là, et la presse en fait une information à sensation. Il suffit juste d’associer l’âge du trépassé et de ne pas trop se soucier de l’état pathologique antérieur éventuel, ni de l’avis des médecins traitants sur l’issue fatale, pour en faire un événement ravivant une peur ancestrale. Celle des grandes épidémies meurtrières qui, comme les famines et les guerres ont rythmé l’histoire de l’humanité. Frissons garantis dans les chaumières, nos jeunes gens de moins de vingt ans et les femmes enceintes y semblant, nous dit-on plus particulièrement sensibles.
xxx Et si une bonne partie des décès associés à une grippe n’étaient pas causés par la défaillance d’un organe vital détruit par le virus A H1 N1 ? Il est relativement facile de diagnostiquer tous les états pathologiques graves antérieurs risquant une décompensation fatale au cours d’une grippe.
Mais, le public le sait peu car les médecins n’aiment pas en parler, il existe aussi un phénomène largement médiatisé uniquement chez les nourrissons : la mort subite.
Oui, chacun de nous, quel que soit son âge, peut brutalement perdre la vie. Dans ce cas, si une autopsie est réalisée pour déterminer la cause du décès naturel ( ce qui est devenu très rare en dehors des hôpitaux ), aucune atteinte anatomique ou anatomopathologique n’est décelable.
S’agit-il d’un phénomène marginal réservé à quelques jeunes athlètes sur des terrains de sport ?
Selon les épidémiologistes, cela concernerait quelque 40 000 adultes chaque année. Chiffres à rapprocher, juste pour se faire une idée de grandeur, des 45 000 personnes mourant d’une consommation excessive d’alcool en France, ou des 4275 morts de la route en 2008 selon la Sécurité routière.
xxx Quel peut être le mécanisme en jeu ? Selon Xavier Jouven, cardiologue de l’Hôpital européen Georges Pompidou ( Paris ) et de l’Unité 258 de l’INSERM ( Institut national de la santé et de la recherche médicale) , serait souvent en cause une mauvaise capacité d’adaptation du rythme cardiaque. Ce travail a fait l’objet en 2005 d’une publication dans le New England Journal of Medicine.
Tout semblerait donc se passer comme avec nos modernes automobiles. Malgré la qualité de plus en plus éprouvée des organes strictement mécaniques, une simple défaillance d’un modeste circuit électronique les immobilise. C’est même devenu la panne la plus fréquente, et elle est imprévisible.
On conçoit combien il est difficile d’étudier scientifiquement ce type de situation, dont le diagnostic, probablement largement sous estimé par les médecins eux-mêmes, ne peut se faire qu’à posteriori. Aucun traitement n’est possible.
En un mot, les médecins sont totalement impuissants. Dressés comme ils l’ont été à avoir réponse à tout, ils ont horreur de cela, et en faire l’aveu public serait à leurs yeux une façon de perdre un peu de leur aura.
Ils ont probablement tort, cette image d’Epinal d’une médecine capable de nous mettre à l’abri de tous nos ennuis d’avant la naissance à la mort la plus éloignée possible est insupportable. Tenir un langage de vérité, non pas pour rechercher une fausse modestie, mais pour y gagner au contraire un peu plus d’humanité dans nos relations avec ceux qui nous confient leur peau, c’est fort important
Alors, de grâce, cessons de nous torturer parce que des vendeurs de sensationnel jonglent avec des chiffres de mortalité pour raviver encore notre peur émoussée par une propagande qui se veut préventive mais nous lasse. Notre vie ne tient qu’à un fil , et en plus on ne sait pas très bien lequel. Il serait plus que temps de se mettre dans la tête que le mot humain ne rime qu’avec incertain, et que, quoi qu’on fasse et quoi qu’on sache, la mort demeure notre sort.
Source : Le Monde du 15 mai 2005.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 18 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 18°) Je conserverai en mémoire l'obligation de surtout ne pas nuire aux malades et les limites de ma compétence que constitue l'état actuel de la science.
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