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La médecine-fiction est un exercice de voltige intellectuelle à haut risque. Tant pis, ou, plutôt tant mieux : stimuler les questionnements est un excellent exercice quand règne la chape de plomb du prêt à penser et le poids des habitudes et des routines des prétendus «acquis»..
Le monde de l'argent de la planète a été secoué en 2008 par la fameuse crise née aux États-Unis. Les causes dûment diagnostiquées qui ont contribué à sa survenue n'ont toujours donné lieu à aucun traitement curatif permettant d'espérer que nous avons retrouvé une situation physiologique.
Les mêmes causes produisant obligatoirement les mêmes effets, du moins dans ce que les médecins peuvent observer, il n'est point besoin de talent divinatoire ni de compétence particulière en sciences économiques pour annoncer sans risque d'erreur que le monde va connaître avant peu une crise financière et économique de très grande ampleur.
Un beau matin, nous pouvons fort bien nous réveiller avec un porte monnaie contraint à l'anorexie et donc devenu squelettique. La notion d'économie, qui était devenue depuis plus d'un siècle une sorte de jeu de salons pour intellectuels en quête d'abstractions, revient brutalement à sa signification d'origine.
Celui de savoir réaliser des économies pour faire marcher le mieux possible sa maison personnelle avec les biens limités qu'on a sous la main.
La maladie, dans ce genre de scénario, n'aurait aucune tendance à disparaitre de notre vie humaine. Tout à coup, nous voilà contraints d'effectuer des choix dans la pléthore des moyens dont dispose à foison notre encore jeune XXIème siècle pour diagnostiquer, tenter d'éviter et soigner tous nos maux, petits et grands, physiques comme psychiques.
Difficile, dans un tel contexte, d'imaginer la mise au point rapide et acceptable de modélisations collectives capables de guider utilement les professionnels de la santé.
C'est alors à chaque soignant, médecin ou non, quand il se retrouve confronté à une situation clinique, par définition toujours unique, qu'il appartient de déterminer ce qu'il peut et ce qu'il doit faire, et ne pas faire. Depuis des dizaines d'années, opulence ambiante régnante, découvertes et trouvailles grandes et petites de la science médicale issues, pour leur plus grande part, des retombées purement techniques issues de tous les domaines, nous les soignants avons de plus en plus fait confiance à des règles de comportement toujours plus rigides. Le mot anglais guide-line le traduit fort bien.
Établies dans de lointaines instances, souvent au sein de sociétés savantes bien éloignées des praticiens de terrain, ces obligations nous ont conduit à une certaine paresse intellectuelle. Le règne des bilans systématiques, des investigations, analyses et imageries médicales répétées sans fin, juste « au cas où» une première démarche diagnostique serait passée à côté d'une manifestation pathologique encore «muette» a trois conséquences.
La multiplication illimitée des interventions médicales jusqu'à de franches absurdités. Retenons simplement à titre d'exemple le dosage du cholestérol sanguin chez des sujets de plus de 70 ans. Très réclamé du public, et assorti au moindre écart par rapport aux normes ( généralement établies pour des sujets de 20 ans) d'un traitement médicamenteux non sans danger. Si des complications vasculaires pouvaient être évitées par ces médications, ce qui n'est pas prouvé dans ce cas, il faudrait une vingtaine d'années pour en constater le bénéfice individuel !
Deuxième conséquence à craindre : obliger la collectivité à consacrer une partie de plus en plus insupportable de ses ressources financières à des dépenses dont rien ne prouve qu'elles améliorent le niveau général de santé de la population, ni qu'elles permettent de mieux soigner les malades.
La dernière conséquence a quelque chose à voir avec la qualité des soins.
Les routines et obligations imposées à tous les professionnels de santé anesthésient la vigilance et la curiosité dont ils ne devraient jamais se départir pour bien faire leur métier.
Je viens là de soulever un point qui ne va pas plaire à tout le monde, mais la vérité a des exigences avec lesquelles il est toujours dangereux de tricher. Pour le dire sans détour, les médecins de plus en plus encadrés par des contraintes qui leur sont imposées s'ennuient. Leur envie de soigner se trouve peu à peu usée par des routines souvent bien éloignées des besoins concrets de leur pratique. Il est curieux, quand il est question d'épuisement professionnel ( le «burn-out» cher aux médias) qu'il soit si peu fait mention de l'état d'esprit dans lequel sont effectués les gestes quotidiens du métier.
Alors, si un jour l'argent pour continuer à mener cette médecine médiocrement grisâtre et sans joie, venait à manquer, une page véritablement nouvelle s'ouvrirait.
Comment soigner au mieux chaque personne avec les moyens dont on dispose, voilà qui deviendrait ( deviendra, à mon avis) le nouveau défit des temps à venir.
L'intelligence, l'implication personnelle, les qualités humaines à encourager, la capacité de découverte, d'innovation et le respect de tous les talents individuels prévalant, enfin, sur toutes les grandes manoeuvres collectives qui signent leur échec par leur fragilité extrême aux conditions économiques.
Ces atouts, les médecins ( comme tous les soignants sans exception) les ont en main. Et ils sont les seuls. Quel dommage qu'ils parviennent aussi mal à en prendre conscience, tellement on les manipule depuis des années pour les faire marcher en rangs et au pas de ceux qui se sont auto-proclamés leurs patrons et maîtres à penser.
Photo Cath exmed
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