Ça tousse durement en ce moment du côté de ce que Georges Brassens nommait « Sa Majesté financière». Les bourses de la planète sont en peau de chagrin. Et il nous est annoncé qu'en France la croissance ( de la richesse générale) au deuxième trimestre 2011 a été nulle. Pendant ce temps là, des gens prêchent pour populariser le concept de développement durable. Y compris dans le domaine des établissements de santé.
Voilà de quoi interroger un professionnel de la clinique médicale.
Des bourses qui descendent, voir que se retrouvent à plat, comme vidées de leur contenu anatomique testiculaire, oui cela «parle» clairement à une oreille médicale. Le pouvoir fécondateur de l'humanité que cela suggère, finalement réduit en CAC 40, Dow Jones ou Nikkei, notre pensée collective mondiale en serait-elle implicitement persuadée ?
Le seul idéal pensable serait-il un accroissement infini, même accompagné de fluctuations, de la production de richesses ?
Là, un peu de réflexion n'est pas superflu. Nous qui passons notre temps à essayer de comprendre avec tous nos outils d'observation et toutes les connaissances scientifiques disponibles comment fonctionne le vivant de la conception à la mort, nous avons quelque chose à dire. Rien, absolument rien dans l'histoire du vivant n'obéit à un mécanisme de croissance sans fin. Naissance, croissance, maturité puis mort, chacune de nos cellules constituantes suit cette loi cyclique.
Du côté de la réalité observable cliniquement, une succession de phases de vie et de disparition source de nouveaux cycles vivants, c'est ce que dit de façon unanime la connaissance scientifique.
Du côté des organisations humaines chargées de mettre bon ordre à notre vie collective d'êtres au cortex parlant, il existerait une force de plus en plus grande ( notre fameux PIB?) qui jamais ne s'épuiserait au fil du temps.
Sur la balance du jugement, deux façons de voir nous font de l'oeil.
D'une part un univers dynamique en perpétuel mouvement, rythmé par les alternances créatrices inévitables de la vie à la mort, et de la mort à la vie, le phénomène d'apoptose maintenant bien connu. C'est le langage de nos atomes, à n'en pas douter. Les cosmologistes contemporains ne voient pas autrement l'univers. Du plus petit au plus grand de notre environnement, rien n'est figé, tout fonctionne de façon cyclique.
Sur l'autre fléau de notre trébuchet imaginaire parade un tout autre univers. Là, foin de variations cycliques subtiles pas toujours évidentes à observer et impossibles à administrer, une bonne vieille vision statique continue de camper. Celle de l'expansion permanente, comme motorisée par une énergie sans fin, et de nature inconnue : la fameuse croissance.
Alors, à chacun de décider quel est la façon la plus proche de sa réalité vécue de regarder le monde qui nous entoure.
La fascination que nous avons pour un environnement facilement accessible mentalement dans sa simplicité nous maintient dans nos mythes statiques. Il n'y a pas si longtemps que la terre n'est plus le centre de l'univers, ni qu'elle tourne sur elle même
Par exemple parmi d'autres,le succès populaire énorme du créativisme ( l'univers est totalement conforme à celui que Dieu a créé, tel qu'il est raconté dans la bible des prédicateurs américains) en est un symptôme actuel à considérer.
Voilà pourquoi je parle de cécité systémique. Là exactement où Max Dorra commentant Spinoza n'en revient pas de constater les ravages de la méconnaissance (1). Et, pour l'auteur de L'éthique, le salut personnel grâce au rôle créateur de la connaissance.
Les choses autour de nous peuvent se présenter de façon plus trompeuse. Il est à la mode de parler de «développement durable». Conscients que notre «empreinte écologique» sans frein met en jeu notre survie,ce qui est indéniable, nous contorsionnons nos esprits pour ménager la chèvre et le chou. On conserve l'idée binaire du développement ( toute aussi floue que celle, maintenant désuette de progrès) pour l'accommoder à la sauce verte d'une écologie, elle même impensable hors d'une compréhension systémique de la planète.
Ce saut dans une observation systémique du réel, je ne veux jeter à personne la pierre de ne pas l'accomplir. La médecine, cette chère médecine au nom de laquelle je viens audacieusement de parler, est elle-même toujours incapable de l'effectuer.
Dommage, nous sommes -à mes yeux- parmi les plus crédibles, dans le monde contemporain, pour attirer l'attention de tous sur cette autre façon de comprendre les choses qui nous entourent.
Quand tout craque à grand bruit dans le monde, travailler à comprendre dans quels systèmes nous sommes impliqués dans un gigantesque jeu en forme de poupées russes demeure la seule voie pour échapper à l'absurde destructeur de nos pensées morcelées.
Oui, cela demande un effort personnel, une recherche curieuse et sans a priori intellectuel. Non, il n'existe ni gourou ni méthode expresse genre «Le systémique pour les nuls» pour le faire à notre place.
Alors, non pas des larmes, du sang et de la sueur, mais, pour paraphraser Winston Churchill, du jus de matière grise, du concentré d'indépendance et du sublimé de lucidité sans limite.
(1) Max Dorra, entretien vidéo reçu le 20 août 2011