xxxSi cette lettre était lue par des non-soignants (1), ils diraient encore que j'exagère. Mais j'ai la conviction (paranoïaque diraient d'autres) que la défiance s'est durablement installée en médecine. En particulier en médecine générale. Je n'ai pas de chiffres à donner, pas de "stat", que mon impression au pire quotidienne, au mieux hebdomadaire. A vouloir renflouer le système de santé à coups de "maisons dites de santé" (je n'ai toujours pas compris la plus-value humaine, désolé), à toujours multiplier les administratifs contrôleurs des "dépenseurs" impénitents que sont les médecins, à sans cesse répéter dans les médias que les généralistes sont là pour les grippés voire les pseudo-grippés et que, s'ils sont absents après leurs 12 heures quotidiennes, ils seront responsables des passages coûteux aux urgences, on a fait de ce généraliste une variable d'ajustement qui consiste à le mettre à genoux pour qu'il bouche les trous du système, à savoir remplir encore et encore davantage de protocoles techniques que personne d'autre ne veut remplir, afin de contrôler les "usagers" dans leur parcours.
Patients, soyez conscients des choses suivantes :
xxxOn confond la confiance avec la disponibilité. Ne tombez pas dans le panneau. La disponibilité est devenue un luxe des générations à venir. Demandez à votre médecin qu'il soit vivant avant tout. Reportez à plus tard vos soucis mineurs de santé. Si votre caisse vous demande la signature de votre médecin sur le papier N° X, posez vous la question suivante : est-ce vraiment le boulot de mon médecin de le faire en urgence comme vous l'a demandé votre administration bienveillante ou votre assureur dévoué. Demandez vous également si votre médecin est "habilité" à faire ce travail surnuméraire gratuitement. La disponibilité n'est pas la confiance que vous portez à votre médecin. Elle est le conséquence de votre empressement, mal de notre temps.
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xxx On confond la conscience avec la mise au pas. Votre médecin est un professionnel indépendant qui doit agir en fonction de vos intérêts de santé. Il n'est pas l'employé de la sécurité sociale qui, depuis quelques années, se pose en défenseur de la morale au prétexte que les médecins seraient des nantis, qui coûtent toujours plus chers. On s'échine à ce titre à insinuer dans les esprits (on peut au passage remercier certaines associations de patients qui voient dans l'argent des médecins une raison de plus de les haïr) que l'argent de votre médecin vient de vos cotisations et qu'à ce titre, le médecin devrait être au pas de l'institution. Pour soigner dignement, un médecin doit être libre de toute influence. S'il y a des truands parmi eux, la justice les saisira. Pas besoin d'imaginer que les médecins soient inconscients de ces enjeux.
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On confond la compétence avec le syndrome du "gate-keeper". Votre médecin a, même s'il l'oublie lui-même parfois, une capacité propre de jugement qui doit pouvoir vous aider à résoudre 90 % de vos problèmes de santé. Votre médecin se doit avant tout d'être compétent et indépendant dans sa formation. Si vous confondez "compétent" et "aiguilleur", vous vous égarez donc. Le généraliste ne peut pas se résumer à distribuer des "bons pour" telle ou telle spécialité parce qu'il est bon de voir un dermatologue avant l'été, parce que tel magazine de TV a pu vous faire croire que vous aviez telle maladie à la mode et qu'à ce titre le neurologue dernier cri devrait être à votre portée. Si le médecin généraliste est devenu cela pour vous, alors n'en ayez pas, c'est inutile.
Être médecin aujourd'hui, c'est plus que jamais, être indépendant, compétent dans l'aide à apporter à ses patients dans la "gestion" de leurs maladies, c'est assurer à ses patients la confiance qu'on leur porte naturellement, à condition qu'elle soit réciproque et non utilitariste, c'est plus que jamais être conscient des enjeux éthiques et financiers de notre système actuel. Si vous voguez selon les modes, les discours politiques, les slogans, vous utiliserez votre médecin comme cette variable d'ajustement dans la gestion de votre "parcours de soins" comme "ils" disent; vous ferez alors partie d'une "filière". Et ce sera la mort de votre médecine de proximité. Prenons date.
(1) NDLR : bien entendu de nombreux profanes liront cette lettre, peut-être même se feront-ils un devoir de la faire lire autour d’eux, car cela est conforme avec l’orientation ouverte de ce site.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 1 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 1 °) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.
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