xLLLLQue de bruit fait-on au royaume de France autour de la déconfiture de l’équipe nationale dans une coupe du monde de balle au pied. Du bas jusqu’au sommet quasi olympien - à défaut d’être olympique - de la hiérarchie hexagonale, l’émotion est à son paroxysme et les noms d’oiseaux fusent en vol serré de tous les horizons.
Laissons un instant de côté ce tapage assourdissant pour ... oublier le football. Ce n’est qu’un symptôme de notre société, certes exemplaire et bruyant, mais qui ne peut prendre de sens que dans une vision plus large. Tentons l’aventure, qui comme d’autres ici, a pris ses racines dans les échanges fournis de notre liste interne de discussion, celle que j’aime nommer notre salle de rédaction virtuelle.
xLLLLa confiance que nos amateurs de ballon rond avaient placée dans leur équipe nationale, tout de tricolore enrubannée et au garde à vous comme des soldats quand retentit la Marseillaise, s’est effondrée devant la médiocrité des performances sportives réalisées.
Les héros en culottes courtes des stades de naguère, jadis portés en pavois par la liesse populaire, sont devenus des objets dignes de tous les quolibets.
Pourquoi et comment un tel retournement de l’opinion publique, du moins telle quelle est relayée par les médias, a-t-il été non seulement possible, mais inévitable?
xLLLUn petit retour en arrière s’impose. Comment les responsables du recrutement de cette équipe de travail, il s’agit bien de professionnels, n’est-ce pas, ont-ils procédé pour recruter les hommes les plus aptes à remplir la mission qui était attendue d’eux ? Ils ont sélectionné, et c’est leur raison d’être, les professionnels les plus prestigieux aux yeux des spécialistes les plus écoutés de leur domaine d’action.
Regrouper les meilleurs sujets d’élite du moment, voilà ce qui semble avoir été la stratégie des dirigeants. Pour caricaturer : prenons les plus performants du marché, appâtons-les avec des salaires pharaoniques, et nous disposerons du groupe professionnel le plus brillant qui puisse exister.
Cette attitude, en apparence des plus logiques, a conduit à un échec.
Pour une raison tellement simple qu’elle ne semble pas avoir été retenue par les commentateurs. Mettre ensemble une vingtaine de sujets au talent individuel incontestable n’a jamais été l’assurance qu’il se passe quelque chose d’intéressant. Pour qui a fréquenté des congrès scientifiques, même très réputés, il est toujours surprenant de voir à quel point des gens intelligents mis ensemble peuvent produire un travail d’échanges d’une grande médiocrité. Pour qui a eu l’occasion d’animer de petits groupes de gens parfaitement ordinaires, le constat qu’une surprenante et créative dynamique de groupe se met facilement en oeuvre est une constatation banale. Dans le premier cas, il ne se passe rien, dans le second, le groupe semble, par lui-même, sécréter quelque chose de nouveau et de vivant.
xLLLSi cela ne concernait que le sport, nous n’en parlerions même pas ici. Quand on constate avec quelle fierté nous pouvons nous vanter d’admettre comme étudiants en médecine des élèves ayant obtenu une mention bien au bac, avec quelle obstination ne sont sélectionnés que les plus habiles en mathématiques et en physique, avec quelle rage le classement national pour l’internat sur les seules notes au concours national classant détermine l’avenir professionnel de nos jeunes, nous ne pouvons que constater que nous ne sommes pas capables de raisonner autrement.
Peu importe que l’on ait constaté que ce ne sont jamais les premiers de la classe qui réussissent le mieux leur vie professionnelle, le mirage de la chasse aux majors de promotion demeure vivace quel que soit le secteur d’activité.
Il suffit pourtant, mais qui prend la peine de le faire, d’écouter les théoriciens de la communication. Un ensemble ( pour nous ici un groupe humain, une équipe de sport ou hospitalière ) est plus et autre chose que la somme des éléments (chacune des personnes) le composant. Il n’y a pas un empilement automatique des différents talents, certains peuvent certes se potentialiser ( c’est le pari optimiste fait par tous les sélectionneurs, chasseurs de tête ou collectionneurs de premiers de classe) mais d’autres peuvent se neutraliser ou se détruire mutuellement.
La psychologie, comme la médecine depuis toujours, s’est presque exclusivement consacrée à l’individu. Il est vrai que le malade, même dans une épidémie, est toujours quelqu’un bien reconnaissable. Freud nous a décrit un triple aspect de la personne : le moi pour désigner la conscience que nous avons de nous mêmes, le ça, ou les pulsions agressives ou sexuelles qui nous animent, et le surmoi qui est la superstructure que la société et la culture nous impose.
Quand on aborde le fonctionnement des groupes, les descriptions littéraires et sociologique de toutes leurs vertus et de tous leurs déchaînements les plus inhumains abondent. Les foules font peur, et pas seulement aux malades phobiques. C’est le principe des manifestations pour faire pression sur un pouvoir. Les foules attirent aussi comme dans les spectacles et les fêtes religieuses ou laïques.
Le sentiment de faire partie d’une communauté est pour beaucoup une sorte de preuve sensible de leur humanité.
Cette articulation complexe entre l’individuel et le collectif, le personnel et le groupal, semble retenir assez peu les professionnels des soins de santé. Et pourtant, la question est au coeur même de la fonction du médecin généraliste, du médecin dit de famille.
Alors, en l’absence de supports théoriques suffisamment solides pour jouer simultanément sur ces deux tableaux comme un pianiste le fait sur son clavier avec ses deux mains, chaque médecin bricole de façon empirique sa propre pratique.
Il existe probablement un nous conscient pour chaque groupe auquel nous appartenons : les médecins, les amateurs de choucroute, les blondes comme aime se nommer une de nos rédactrices, les sans grade etc... Max Dorra qui se définit sur ce site même comme professeur de médecine et écrivain utilise un terme qui me semble excellent. Celui de surnous. Le nous que nous impose notre culture, variable en permanence d’un endroit à un autre. Qui parfois nous emprisonne et nous ligote, comme l’a si bien illustré Gustave Daumier.
Et il existe aussi probablement un formidable nous des pulsions ( faute de lui trouver un nom aussi percutant que le ça freudien ). Que de choses ne se passent qu’en groupe, comme la trop célèbre lapidation de la femme adultère, les “tournantes” ou les lynchages sous toutes leurs formes.
Comment ce genre de mécanisme se met-il en route ? Est-il prévisible, donc d’une certaine façon ou provocable ( génocide du Rwanda ) ou évitable, par exemple sur les stades ?
Peut-on risquer l’hypothèse, non sans une certaine dose à la fois de naïveté et de provocation, qu’il existe un nous conscient, un nous inconscient ( pas du tout dans le sens de l’inconscient collectif du disciple de Freud ) et un nous préconscient ?
Beaucoup de questions et bien peu de réponses.
Inciter les jeunes médecins à travailler enfin en groupe, à s’investir dans de véritables actes de prévention ne peut qu’être une invocation pieuse et vide de sens aussi longtemps que la médecine elle-même n’aura pas accepté de prendre à bras le corps, et en s’en donnant tous les moyens scientifiques, cette bien mystérieuse articulation entre l’individuel et le collectif.
Parce qu’au même titre que les généralistes, bien que moins visiblement du fait de leurs spécialisation, tous les médecins, absolument tous les médecins et soignants baignent dans ce bain humain passionnant dans sa richesse et sa complexité encore largement méconnue.
Alors cette systémique médicale, bien bien au delà de sa seule implication actuelle dans le champ de la psychiatrie, va-t-on finir par en reconnaître la nécessité pour que les soins puissent sortir de leurs ornières actuelles (1) dont les premières victimes, comme toujours, sont ceux que la maladie frappe?
(1) Il est frappant de constater, et sans jeter stupidement la pierre à qui que ce soit, que la médecine elle-même ( et non la technologie ou l’industrie pharmaceutique) ne connaît aucune grande découverte depuis une bonne trentaine d’années. NDLR
Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 81
- Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.
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