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 N° 656
 
 
       7 juin 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Charge émotionnelle de la maladie

Photo auteur ;;;; ;;;;;; Docteur Cécile Bour , lui écrire

xLLLLe service d’hématologie-oncologie pédiatrique comportait une chambre dans laquelle n’entrait qu’un seul des externes. Le chef du service la lui avait attribuée, avec la ferme recommandation d’y rester le plus possible, de vouer le maximum de son temps d’étudiant au petit occupant, et le dispensant des corvées habituellement dévolues aux externes. L’enfant malade qui y séjournait était passionné d’Egypte, son père lui avait promis un voyage après sa guérison. Et on voyait tous les matins le dévoué jeune étudiant y rentrer les bras chargés de livres, d’images, de jeux sur l’Antiquité, prenant sa tâche très à cœur, potassant consciencieusement son sujet chez lui afin de surprendre le lendemain le garçonnet avec d’envoûtantes histoires mythologiques, des rêves de pharaons, des fresques peuplées de créatures fantastiques mi hommes, mi faucons. Une fois il avait même fait ruisseler d’un panier des fleurs de lotus sur le lit de l’enfant dans de grands éclats de rire.

retrouver la confiance

xLLLMais pourquoi la charge émotionnelle pour certaines maladies est-elle aussi prononcée? Pourquoi l’est-elle selon le type du malade (enfant, femme), pourquoi l’est-elle plus ou moins selon le type de la maladie? A quoi nous renvoie l’image d’un enfant malade ?
La maladie plonge dans le désarroi, elle est vécue comme injuste surtout si elle frappe un être innocent, comme est considéré l’enfant. L’adulte qui l’entoure se sent coupable, et souvent la culpabilité ressentie par les parents est renforcée par celle de la société qui a déjà du mal à intégrer des personnes malades, encore plus des enfants malades.
Ainsi la compassion sera plus vive vis à vis d’une mère de famille atteinte d’un cancer au sein par exemple, que vis à vis du grand-père de 75ans auquel on diagnostique un cancer avancé de sa prostate. Mais cet homme veut vivre aussi, a des projets, tient à son intégrité physique, redoute les traitements, autant que quiconque. Alors pourquoi ces différences de traitement dans notre société ?


restaurer la conscience

xLLLTout d’abord la maladie est un trouble-fête, elle entraîne un trouble du fonctionnement social d’autant plus que la personne malade occupe dans la société un rang « utile ». Un chef d’entreprise malade sera considéré comme un fait catastrophique, un retraité malade, surtout s’il est âgé, entraînera moins de stupéfaction. De plus s’ajoute inconsciemment une notion de « mérite », la personne jeune ne l’a pas mérité, elle n’a pas encore tout vécu, n’a pas encore « fait sa vie » ; la personne âgée, ne contribuant plus à l’effort de la communauté, ne revêt plus autant de mérite aux yeux de notre société très axée sur le rendement et la productivité de chacun. La personne active assure son statut social par son rôle de soutien familial, de travailleur. La société l’exempte de ses responsabilités lorsqu’il est malade, et cet effort de compréhension est accordé par la communauté en fonction de son importance sociale. Le malade n’est plus un acteur collectif, la maladie l’isole, l’individualise et le pousse à retrouver des semblables qui peuvent partager avec lui son vécu, ses expériences, ses douleurs, mais en contrepartie, la société exigera de lui l’effort de guérir. La maladie devient une ressource identitaire pour le sujet atteint, surtout si l’idée de la mort est liée à la pathologie, cancéreuse par exemple, qui l’éloigne du reste de la société. Néanmoins la société juge la personne malade : la lutte contre le mal est valorisée, alors qu’au contraire un comportement d’abandon face à une maladie grave est souvent déconsidéré.


renforcer la compétence

xLLLLa femme a un statut à part, sa maladie est vécue dramatiquement, elle est le support familial qui risque de défaillir, elle est synonyme de donneuse de vie, avec la maladie, c’est la mort qui est entrevue ; ce sentiment collectif « d’injustice »  , de dire « elle n’a pas mérité ça » est encore plus important selon l’organe touché et notamment en matière de cancer du sein par exemple, où il apparaît que la charge émotionnelle que cette maladie comporte est parfois disproportionnée par rapport aux nombreuses avancées thérapeutiques, et comparativement à d’autres formes de cancer bien moins favorables en termes de pronostic, mais ne rencontrant pas le même émoi. Le sein est associé à la générosité, la mère nourricière, il favorise la vie, il est un havre, un refuge, un giron rassurant, un instrument de séduction. Ce n’est pas concevable qu’il abrite soudain une chose rongeante, menaçante, rapprochant de l’idée de la mort, d’autant plus que cet organe est plus ou moins exposé, et visible.
Il faut dire que les campagnes de dépistages contribuent beaucoup à cette inégalité de traitement, en présentant le cancer comme un fléau social et en confirmant la représentation mortifère très ancrée dans l’imagination collective ; malgré les efforts des scientifiques et du corps médical la société n’intègre pas les progrès thérapeutiques qui devraient faire entrevoir cette maladie
sous un autre jour. Malgré les grandes avancées des traitements, la maladie cancéreuse reste dans une représentation collective morbide très prononcée du fait de son caractère aléatoire. Justement le dépistage englobe tout individu pouvant être potentiellement frappé, et n’est pas capable d’attribuer un risque carcinogénétique propre à chacun des individus : tout un chacun peut être atteint.
Le degré de visibilité de la maladie renforce ou empêche l’intégration du malade dans la communauté. Un cancer du poumon sera moins effrayant dans l’esprit de nombreuses personnes qu’un cancer de la peau ou du sein, correspondant à des organes visibles, qui nous renvoient directement la vision de la maladie, et la compassion suit le même cheminement. Ceci est parfois aggravé par la notion encore présente de « culpabilité », le malade atteint de cancer du poumon est blâmé, il «  l’a cherché » en fumant toute sa vie ; la société désapprouve certains comportements jugés déviants, et le malade atteint de MST aura bien du mal à faire pleurer dans les chaumières.
La société va ressentir, réagir , accompagner et donc intégrer le malade de façon très différente en fonction de la charge émotionnelle portée par de multiples facteurs, concernant la nature de la maladie mais aussi la nature du malade.


xLLLEt l’histoire de l’enfant et de l’étudiant ?
Un beau jour les éclats de rire dans la chambre ont cessé parce qu’un grand sphinx invisible est venu enlever sa petite proie vers d’infinis déserts sans retour, malgré la sollicitude du patron, malgré le chagrin des parents, malgré la compassion des voisins, malgré tous les efforts de l’externe pour retenir son petit malade dans son monde peuplé de princesses splendides, de temples grandioses et de scarabées d’or.
Le temps est passé, l’étudiant est devenu médecin.

 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 7
Je reconnaîtrai l’autonomie de  la personne  et respecterai sa volonté et ses croyances en faisant abstraction de mes propres convictions culturelles , idéologiques, philosophiques ou religieuses, et de toute appartenance à une catégorie sociale ou à un groupe. 


Os court : <<Vivre pour mourir n'est déjà pas amusant, mais vivre en sachant qu'on mourra prématurément, c'est complètement idiot. >>
Anton Tchekhov


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