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Il me tend ses chausse-trappes, il me fait bien souffrir !
Écrire ce bon français est souvent un martyre.
Alors pour me venger, je voudrais en montrer,
Quelques pièges diaboliques qui m’ont fait transpirer.
Ceci est véridique, véritable, vraisemblable,
Et sa véracité est vraiment vérifiable :
Étienne est un ami, ça fait même soixante ans.
Comme il sait que j’écris, qu’il veut en faire autant,
Il me demande conseil, me pose force questions,
Sur toutes règles ou accords, veut des explications.
Il me presse tant et tant que je reste souvent coi,
Qu’à ma grande confusion, je sens que je déçois.
Moi qui croyais connaître un peu la langue française,
Je me vois hésitant, fautif, et mal à l’aise.
Voici quelques exemples des traquenards qu’Etienne,
Dans sa candeur naïve ( ?) me soumet et m’assène :
Homonymes, homophones, synonymes, acronymes,
Il découvre paronymes, éponymes, antonymes.
C’est tout un art, dit-il, mais l’are n’est qu’une surface,
Comme sont arrhes un acompte et l’hart un fil tenace.
Si ma grande baie vitrée me montre la vue sur baie,
Sur mon grand cheval bai, des ronces je cueille les baies …
Devant le bey d’Alger, de quoi rester bouche bée,
Et de mon dictionnaire, reprendre l’alphabet !
Nos vieux fonts baptismaux, fonds de commerce de curé,
Ne sont pas les pluriels de font, fond singuliers.
Et si « à mots couverts » est toujours au pluriel,
Pourquoi donc « au bas mot » jamais ne devient tel ?
Morte-eau n’est pas eau morte ; eau vive n’est pas vive-eau !
Un timbre à un euro, n’est pas timbre d’un euro !
Est-ce du numérotage, une numérotation ?
Ne serait-ce pas plutôt, une vraie numération ?
Et je ne parle pas de l’énumération,
Que l’Etienne me balance sans grande circonspection.
Et si végétarisme, n’est pas végétalisme,
Urètre contre uretère , ne sont pas barbarismes.
Si j’oins mes joints alors, nous oignions nos oignons !
Collision, collusion ? gradation, graduation ?
Dans l’ombre des profondeurs, vous pêchâtes de gros ombres,
Et même, c’est un comble ! un omble ; tous sortis sans encombre.
Et puis, ne pas confondre l’archer avec l’archet,
La hanche avec une anche, marché avec marcher.
Cahot ou bien chaos ? Ce n’est pas cacao !
Les baux avec le bau, les pieds-bots pas très beaux,
Les briques avec les bricks, bric et broc, bric-à-brac,
Le s cracks, les krachs, les kraks. Je le sens : crac, je craque !
Si je dis « je le sens » il y a aussi cent,
Et même cens, sans et sang, mots qui ont tous un sens.
De même pour date et datte, caddy ou bien caddie !
Pour des, dé, dès, dé, dais ! Car pour jouer les parties,
On a besoin des dés, bien loin des dés à coudre.
Que de problèmes complexes, on m’oblige à résoudre !
Étienne fait des phrases folles, télescopant les mots,
Alignant pièges sur pièges dont je lui dit les maux.
De confondre les termes, il m’accuse nommément,
Comme nominalement et nominativement
Il y a chaire, cher, Cher, chair pour bonne chère enfin,
Tant et tant qu’à la fin je feins d’avoir très faim,
Comme un cheval étique et tant pis pour l’éthique.
Pourquoi ce « manque d’égardS » ? il faut que l’on m’explique !
Cette épave abîmée, pas du tout abîmée ,
Est-ce une « mise en abyme » ? J’en reste désarmé.
Abjuration, c’est vrai, n’est pas adjuration,
Mais il m’oblige en m’obligeant à réflexion !
Parti sans le prévenir, il me prend à parti,
Et en tire parti pour m’inscrire au parti.
Sans prendre son parti, je siffle « fin de partie ».
Nos juges au tribunal, entendront les parties …
En outre, outre sa retraite, il gagne outre mesure ;
Mais, outre qu’il ne fait rien, passer outre serait dur.
Si c’était outre-Rhin, moins pleine serait son outre,
Et le fisc Germain le fendrait d’outre en outre.
Menacé par un pal, ma roue perdant ses pales
Soudain je deviens pâle, et me protège d’une palle.
On dit « que je moulusse », malgré que je cousisse :
Serait-il bon alors, qu’encore tu écrivisses ?
Peigne-cul ne prend pas d’ « s » même s’il est au pluriel ;
Essuie-pieds en prend un, même tout seul à l’appel.
Pressurer, présurer ou bien pressuriser ?
Repaire ou bien repère ? Roder n’est pas rôder !
Cession ou bien session, ou encore cessation ?
Servante ou bien serveuse, il faut faire attention !
Résident, résidant ? Raisiné résiné ?
Bajoues ou abajoues ? Détonner ? Détoner ?
Dessin ou bien dessein ? Tous sujets à faux-pas !
Décrépi ? décrépit ? J’absous mais n’acquitte pas.
Plaquage ou bien placage : rugbyman, ébéniste ?
Prémisses ou bien prémices ? Ça ne clôt pas la liste !
Sourciller, sourcilier ne sont que paronymes,
Mais leur vile confusion serait bien légitime !
Que dire de vénéneux qui n’est pas venimeux
Ou bien de flatulent qui n’est pas flatueux ?
Le vigile reste vigile durant toute la vigile !
Le dictionnaire souvent m’est une chose bien utile !
Voltmètre et voltamètre n’ont pas la même fonction.
Des cents, mais pas des mille(s) : quelle abomination !
Vantail ou bien ventail ? Ou peut-être ventaille ?
Air ? haire ? aire ? ère ? ou hère ? Aïe, aïe, aïe, quelle pagaille !
Des grands-oncles au pluriel ; mais pourquoi des grand-tantes ???
Toutes ces complications me perturbent et me hantent.
Le simple recollage n’est pas un recollement
Comme la récollection diffère du récolement.
Si je vais aller voir, c’est donc que j’irai mieux,
Mais c’est toujours « aller » que ce verbe facétieux !
Comment un étranger, si érudit soit-il,
Peut-il se retrouver dans ce maquis subtil ?
A Étienne, j’ai redit : si compliquée soit-elle,
Notre langue est précieuse et donc, occupe toi d’elle.
Comme une femme délicate, il faut la respecter,
Et ses formes secrètes, plais toi à explorer.
« Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin,
est toujours, quoi qu’on fasse, un méchant écrivain »
Droits réservés
Ndlr : La citation finale est extraite de l’Art Poétique de Nicolas Boileau 1674.
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