Prenons la mer avec Jacques Grieu

;;;; ;;;;;; Docteur François-Marie Michaut, lui écrire

xLLa vieille question des doubles a toujours intrigué les hommes. Au delà de la gémellité, qu'elle soit issue d'un seul ou de deux oeufs initiaux, et des bien étranges sosies, les grands écrivains ont toujours été fascinés par ce thème qui fait aussi peur qu'il fait rêver. Notre ami et complice d'Exmed - je n'hésite pas à effectuer cette déclaration initiale d'intérêt -Jacques Grieu en a exploré une facette bien personnelle. Son roman << Doubles vies >>, publié aux éditions du Pierregord en 2010, nous invite à un bien curieux voyage.

xLNos organes des sens, que ce soit la vision, l'audition, le toucher (mais pas l'olfaction, n'en déplaise à nos deux narines), tout comme nos hémisphères cérébraux qui traitent les informations qu'ils nous donnent sur le monde sont doubles et symétriques. Toute une alchimie fort complexe nous laisse persuadés, au bout du compte, sauf en cas de certaines maladies, que nous avons une perception unique.
Jacques Grieu, lui, nous entraine dans une aventure singulière, avec deux personnages féminins qui se ressemblent physiquement comme deux gouttes d'eau. Une même personne avec deux faces, telle le vieux dieu Janus ? Une histoire de clones digne d'un ouvrage de science fiction ? Le lecteur entre peu à peu dans un monde à la fois très familier, de personnages ordinaires, et dans une atmosphère aux imperceptibles colorations celtiques.

xLEt, comme une intrigue policière, les fils de l'histoire vont se nouer peu à peu. Sélena, la mystérieuse au nom lunaire venu du grec, nous séduit et nous intrigue à la fois.
En nous promenant de Paris dans son si cher golfe du Morbihan, notre Jacques nous conduit là aussi à une double vision du monde, de son monde, qui est à la fois un et multiple.
Il ne se précipite pas pour laisser le temps de vivre à ses personnages, ce qui permet au lecteur de s'imprégner de magnifiques paysages, de sensations quasi magiques où tout s'interpénètre comme dans un kaléidoscope.

xLEn fait, et peut-être plus encore que la lune mystérieuse, c'est cette mer que l'auteur aime tant et depuis si longtemps, qui joue un rôle majeur. Ce mélange unique des lieux où la terre et l'eau jouent ensemble, dans des oppositions violentes ou des complicités si douces qu'on ne saisit plus vraiment leurs limites, Jacques Grieu le rend à merveille. Il sait, en guide ou skipper avisé, amariner, sans lasser jamais, les plus terriens de ses lecteurs.
Alors, oui, la balade de ce roman charmera ceux qui s'y plongeront. Et, en même temps, mine de rien, les feront réfléchir. Si on se donne la peine d'ouvrir les yeux, et de réfléchir un peu plus loin que le bout de sa serviette de plage, les choses les plus simples ne sont jamais aussi simplistes qu'elles en donnent l'air.
Un bémol peut être mis pour des médecins agrippés à leur rationalisme, comme des huitres sur leur rocher, en ce qui concerne l'explication finale de cette histoire de doubles. La vraisemblance est tirée par les cheveux.
Mais, qu'importe. Jacques Grieu n'est pas médecin, mais ingénieur des travaux publics de formation. Et un poète a tous les droits, n'est-ce pas ?
Passer un bon moment avec un livre qui ne ressemble à aucun autre, qui est fort habilement écrit et solidement documenté est une excellente façon de se reposer et de se renouveler. Bienfaisante vacance.
Qui d'entre nous, soignant comme soigné, n'en n'a pas le plus grand besoin ? Le plaisir, c'est bon pour la santé.